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Mainau, l'île des fleurs,  des nazis méritants, des déportés

Une rosée automnale argente le gazon tondu millimétré. Vous posez votre main sur l'écorce orangée d'un séquoia plus que centenaire et pensez que celui qui l'a planté, imaginé en majesté, est mort avant de l'avoir vu grandir.

 

Disneyland végétal, l'île de Mainau sur le lac de Constance est propice aux réflexions sur le temps qui semble se figer en éternité pour se convulse soudain en accélérations douloureuses. Il faut pour cela s'intéresser à l'histoire plus qu'au jardinage.

 

Des hommes préhistoriques vécurent ici, comme en témoignent des vestiges retrouvés au XIXème siècle. Les Romains y établirent une base navale. Puis elle devint une dépendance du riche monastère voisin de Reichenau. Mainau est passée ensuite aux mains des chevaliers de l'Ordre Teutonique, puis de différents propriétaires privés jusqu'à ce qu'elle soit acquise en 1853 par le grand-duc régent de Bade Frédéric Ier, qui en fit sa résidence d’été. Ses jardiniers Christian Schlichter et surtout Ludwig Eberling, tirant parti du micro-climat du lac de Constance, en firent alors "l'île aux fleurs", y plantèrent des arbres de toutes origines, la modelèrent en une sorte de catalogue végétal vivant, de la jungle tropicale au jardin à la française en passant par le romantique étang anglais. Plus de cinq cents essences d'arbres, des millions de fleurs, une serre à papillons, un château, des balades d'ambiance en escaliers dominés par les cyprès...

À la mort de Frédéric II, sa sœur Victoria Victoria, épouse du roi Gustave V de Suède, hérita de la propriété, laissée plus ou moins à l'abandon, puis son fils cadet Guillaume de Suède. La renaissance de Mainau est due au fils de ce dernier, Lennart Bernadotte (1909-2004), qui y passait ses vacances d'été. Il s'y retire entièrement en 1932 et la rend accessible au public.

Sous le régime hitlérien, marqué notamment par la culture du corps sain (« Kraft durch Freude », la force par la joie), l'île accueille jusqu'à 50 000 visiteurs par an. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lennart Bernadotte loue l’île à l'organisation Todt, Mainau devient un havre pour officiers et industriels nazis méritants. Fin 1944, c'est au tour des des collaborationnistes français fuyant l'avancée des troupes alliées de s'y réfugier.

En mai 1945, après la découverte des camps de la mort, 1945, un centre hospitalier s'installe à Mainau, réquisitionnée par l'armée française pour y soigner les rescapés de Dachau. Trente-trois déportés ne survivent pas, vingt-cinq sont provisoirement inhumés sur l'île. Dès 1946, celle-ci accueille à nouveau les visiteurs.

Mais après cette histoire mouvementée, les horreurs de la guerre la hantent encore pendant plusieurs décennies. Après avoir obtenu des dédommagements pour l'occupation française et le démantèlement du cimetière, la famille Bernadotte se fait tirer l'oreille pour marquer la mémoire de la sinistre période. Des fleurs, oui, mais pas ce genre de morts sous les plate-bandes. Ce n'est qu'en 2012 qu'est inaugurée une stèle rappelant le sort des déportés de Dachau. Ce reportage télévisé dont sont tirées les images ci-dessous témoigne de cette page d'histoire.

Gérée aujourd'hui par une fondation privée, l'île reçoit plus d'un million de visiteurs par an. Autant dire qu'il vaut mieux éviter les périodes de grandes vacances et les week-ends. En octobre, période où ces images ont été faites - festival de dalhias... - elle est plus propice aux flâneries rêveuses.

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Mai 1945, le général de Lattre accueille les déportés de Dachau sur l'île de Mainau

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"Mort aux tyrans, vive la république", slogans sur la façade du château, à comparer avec la vision actuelle, dans la galerie

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Le cimetière, aujourd'hui démantelé et remplacé par une stèle mémorielle

Mainau, 10 octobre 2024. Leica M11, apo-Summicron 35mm.

© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation.

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