Atelier cyanotype chez Jean-Marie Tran
Tous les chefs étoilés le soulignent: pas de grande cuisine sans de bons produits. Et si le guide Michelin n'a pas encore repéré Jean-Marie Tran à La Chaux-de-Fonds, c'est que ce dernier réserve ses talents à des groupes privilégiés qui peuvent assister à un des stages où les places disponibles se murmurent de bouche à oreille. S'il le faut, il fera une heure et demie de train jusqu'à un magasin de Morges où il trouvera exactement le légume, l'épice qu'il recherche. Le reste repose sur le doigté et l'organisation.
Animateur au Centre de loisirs de La Chaux-de-Fonds pendant plus de vingt ans, Jean-Marie y a publié trois livres de recettes: "Parfum de riz" (1986), "Fleur de gingembre" (1994) et "Saveurs d'Asie" (2006). Aujourd'hui retraité, il organise encore quelques ateliers de cuisine, déboule parfois avec ses marmites au Cochon Rose à La Sagne.
En parallèle, il pratique à sa manière créative et enseigne l'ancien procédé photographique du cyanotype - prolongement logique de ses talents culinaires car là aussi, les bons produits, une organisation rigoureuse et un certain doigté font la différence.
Le cyanotype, reconnaissable à la teinte bleu prusse des épreuves qui en découlent, a été mis au point en 1842 par l'anglais John Frederick William Herschel. À la base, c'est assez simple: vous mélangez une solution de citrate d'ammonium ferrique et une de ferricyanure de potassium, étalez le mélange sur une feuille de papier à aquarelle, séchez, placez un négatif grand format ou des structures plates si possible semi-transparentes (végétales par exemple) sur la couche sensible, placez le tout dans un châssis de verre que vous exposez au soleil ou aux rayons UV, puis lavez la feuille exposée à l'eau.
En tâtonnant un peu, on obtient vite des résultats satisfaisants. Puis on risque de se lasser si on n'essaie pas d'affiner le processus, par des virages au thé, au café, au lilas, voire... au jus d'épinard. C'est ici qu'intervient une connaissance au moins basique des réactions chimiques et le goût pour l'expérimentation, ce dont Jean-Marie Tran ne manque pas. Quand nous nous sommes connus, il y a une quarantaine d'années, nous passions de longues heures à exposer des gommes bichromatées, autre procédé ancien où, avec de bons repères, on peut badigeonner plus de dix couches sur la même image, celle-ci acquérant ainsi une "profondeur" quasi-picturale. (C'est aussi l'époque où Jean-Marie organisait des voyages photo au carnaval de Venise qui, si couru qu'il fût, restait fréquentable. Une sélection de portraits réalisés par Jean-Marie ont été numérisés sur mon blog).
Malheureusement, un des composants, le dichromate de potassium, peut provoquer le cancer et n'est plus vendu dans le commerce, même avec autorisation. Aussi Jean-Marie et moi conservons-nous nos anciennes "gommes" comme des objets précieux (leur longévité est d'ailleurs remarquable). Lui s'est reconverti au cyanotype et au cyanotype humide, avec des résultats de couleurs tout-à-fait étonnants dont je mets un exemple ci-dessous, réalisé pendant l'atelier qu'il organisait le samedi 21 septembre 2024 dans son "laboratoire" (une buanderie) et le jardin de l'immeuble où il habite. Il faisait un soleil radieux, temps idéal pour des expositions courtes. La série d'images ci-dessus donne un aperçu de ce stage, c'est un portrait de Jean-Marie en action.
Contrairement à lui, je ne pratique plus les techniques anciennes (outre la gomme bichromatée, j'ai essayé la platinotypie, magnifique mais hélas très coûteuse), alternant ma pratique actuelle entre le numérique et l'argentique. Les images de cette galerie appartiennent bien sûr à la première catégorie. Pour recréer un peu l'ambiance du lieu et du procédé utilisé, je leur ai fait subir un léger "bain" numérique au logiciel Nik Color Efex 7. Mais ne reprenez pas tels quels les pré-réglages proposés, ils sont généralement trop poussés, comme la plupart des ajustements "automatiques" disponibles aujourd'hui, les pires étant ceux des téléphones portables!
Jean-Marie Tran avec les particpant(e)s à un cours de cuisine vietnamienne à la bibliothèque de La Chaux-de-Fonds, 23 mars 2024
La Chaux-de-Fonds, 21 septembre 2024. Leica M11 + apo-Summicron 35mm.
© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation.