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Portraits "dansés" à Carrefour-Sud, Prilly

Enserré entre une Coop, des garages pour la voirie et un magasin de moquettes, Carrefour Sud Prilly est un centre de loisirs pour jeunes qui ne paie pas de mine quand on le découvre de l'extérieur.

Pourtant c'est un lieu pas comme les autres dont le nom condense l'histoire du mouvement hip-hop en Suisse romande depuis les années 80. Des groupes mythiques comme Sens Unik y ont joué, des centaines de danseuses et danseurs y ont perfectionné leurs gestes. La culture b-boys et b-girls y a pris ses quartiers et développé ses codes. On y vient du Japon, du Canada comme j'ai pu le constater.

Les anciens vous diront que ce n'est plus comme avant, quand les salles d'entraînement étaient pleines à craquer, soir après soir. Les déclinaisons de la culture hip-hop se sont diversifiées à l'extrême: new style, krump, house, vogue, etc. L'éthique et l'étiquette - stricte chez les puristes - s'est en partie dissoute sous les assauts du téléphone mobile, chacun sur son écran, dans sa musique. Pour certains, faire de l'exercice en dansant est devenu une forme d'aerobic. Faut-il regretter les belles années? Je ne connais pas assez le milieu pour en juger. 

Pourtant la passion est toujours présente, cela je peux en témoigner. Tout dépend des soirs. Il arrive que les salles soient à moitié désertes, les mines fatiguées. Mais il y a aussi des moments d'énergie communicatifs.

 

C'est à travers Jenny et Pietro, 17 ans à peine et aficionados du centre, que j'ai découvert ce qui se passait à Carrefour Sud. Un week-end de décembre 2017, ils avaient organisé un concours de "battles" pour jeunes danseurs ouvert au public. J'étais passé avec un vieux Rolleiflex (voir l'image ci-dessous), pas vraiment l'appareil le plus pratique pour capter l'énergie et les mouvements.

Trois choses m'ont frappé:

  • Les défis que se lancent les participants en multipliant les acrobaties, les positions improbables où l'improvisation heureuse, le sens aigu du rythme font la différence.

  • Les entraînements intenses qui doivent se cacher derrière ces affrontements ludiques. Pour une génération qu l'on dit volontiers "zappeuse", voici qui surprend.

  • Les  encouragements collectifs: rater une figure n'est pas un souci, le cercle est là pour vous aider à faire mieux la prochaine fois.

C'est là que m'est venue l'idée de rendre hommage au travail et aux figures des danseurs. Mais comment? La culture hip-hop a déjà été abondamment documentée, notamment dans son contexte urbain d'entrepôts et garages couverts de graffitis, avec ses poses provocantes. Mon sentiment est que ce cadre la dessert, y accolant des clichés de violence et de déprédations. Pourquoi ne pas isoler les danseuses et danseurs de ce contexte visuel ? C'est le choix que j'ai fait en installant un studio mobile (rideau noir de 3 mètres sur 3, noir, deux flashes et un réflecteur) dansune des salles de répétition et demandé à ceux qui le voulaient bien de poser pour des portraits en mouvement. La plupart des images que vous voyez ici ont été faites en musique, la danseuse ou le danseur choisissant le fond sonore qui lui convient. Très peu ont refusé, la plupart se sont prêtés au jeu avec patience et parfois avec amusement.

Après trois mois et une quinzaine de séances de pose, il en résulte une cinquantaine de portraits choisis parmi un bon millier d'images. Je ne sais encore ce qu'ils deviendront outre leur publication sur ce site (et bien sûr l'envoi aux intéressés). Pour moi, ils représentent d'abord un hommage au travail du corps, à ceux qui savent le bouger, se mettre en déséquilibre, s'amuser au sol et se relever dans le même élan (ce qui n'a jamais été mon cas...)

 

Ces danseuses et danseurs forment aussi une communauté à la fois disparate et unie par un fil rouge. Peu de choses rassemblent les amateurs de krump et ceux de house, qui se croisent le jeudi soir en se saluant à peine. Parmi les habitués de Carrefour Sud, il y a des enseignants, un ambulancier, un réfugié sans papiers, des étudiants. Certains fréquentent le centre depuis plus de quinze ans, comme José et Younes, d'autres y viennent pour la première ou deuxième fois. Tous différents et pourtant unis par la magie du corps énergisé par la musique.

J'espère partager par cette série le plaisir que j'ai eu à observer, ne serait-ce que de façon fugace, un mode d'expression trop souvent mésestimé. Merci à Jenny et Pietro d'avoir joué les cobayes, et aux animateurs de Carrefour Sud Manon, Nicole et Bernard pour la gentillesse de leur accueil.

Voir aussi la page spéciale sur le festival "Au-delà des préjugés" (Lausanne, janvier 2018).

Battle de hip-hop, Carrefour Sud, décembre 2017 (photo au Rolleiflex)

Jenny et Pietro, décembre 2017

Nicole, Manon et Bernard

© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation

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