Après la pluie
J'y suis déjà "monté" plusieurs fois. Ô, pas bien haut: 800 mètres à peine, au pied du Jura vaudois. C'est une sorte de réflexe pavlovien quand se succèdent plusieurs jours de fortes averses, ou qu'à la pluie s'ajoute la fonte des neiges.
À L'Isle se trouvent les sources de la Venoge. Notez le pluriel, car il y en a six, dont l'activité dépend, justement, des précipitations et de la couverture neigeuse. Par temps sec, seule la source principale du Chauderon, dans le village de L'Isle, mérite le détour. Quand la météo s'en mêle, c'est une autre affaire. Notre oued local se gonfle alors d'orgueil, ce qui a pu faire écrire à Gilles ce poème qu'ont appris tous les petit Vaudois (extrait):
"Jaloux, un bon Genevois
M'a dit, d'un petit air narquois,
- Permettez qu'on vous interroge:
Où sont vos fleuves, franchement?
Il oubliait tout simplement
La Venoge!
Un fleuve? En tout cas, c'est de l'eau
Qui coule à un joli niveau."
Ce 27 septembre 2024 était donc un jour où les nuages laissaient filtrer un ciel purifié par plusieurs jours d'averses quasi-continues. Je me suis rendu à L'Isle en passant par le village de Cuarnens et le lieu-dit Les Mousses, dont j'aime le semi-abandon serti dans un fouillis végétal. Le spectacle correspondait à mes attentes. La source du Chauderon était rejointe par un petit torrent impétueux, signe que la source supérieure, dite du Puits, fonctionnait à plein régime.
On y accède en vingt minutes de marche. Par temps sec, c'est une sorte de cuvette forestière aboutissant à un puits noir et profond dans lequel il vaut mieux ne pas tomber. De grosses pierres moussues arrangées en demi-cercle ferment le côté inférieur de la cuvette, vestiges d'un barrage probablement construit à l'époque romaine pour irriguer les champs voisins. Quand la pluie devient abondante, le puits se remplit peu à peu, déborde et forme un petit lac verdâtre qui, bien vite, se déverse par-dessus l'ancien barrage et se faufile en torrent forestier jusqu'à la source inférieure. Au-dessus du puits, une petite chute d'eau signale que d'autres résurgences sont en activité plus haut.
C'est un très joli spectacle que je suis rarement seul à contempler: les habitants de la commune, pourtant habitués, s'y rendent régulièrement, comme on salue la visite inopinée d'un parent un peu fantasque mais bienvenu.
Cela n'est pas toujours allé sans incidents, dus à mon imprudent enthousiasme photographique. Une fois, j'avais parqué la voiture trop près du bord de la rivière à la source inférieure. Quand j'ai voulu repartir, les roues arrière ont commencé à glisser en direction de la berge, chaque tentative de désembourbage me rapprochant des flots tumultueux. J'ai dû faire appel au tracteur d'un paysan qui passait par là pour éviter la honte de retrouver le cul de mon auto dans la rivière...
Une autre fois, équipé de bottes de pêcheur au barrage supérieur, pataugeant dans le lac, j'ai voulu déplacer mon trépied plus près des pierres quand le courant m'a déséquilibré. Cette fois-là, j'ai eu droit à un bref bain d'eau froide - et l'appareil photo aussi. Rendons ici hommage aux ingénieurs de Nikon: le boîtier (un D810, je crois) laissé à sécher quelques heures n'a connu aucun souci de fonctionnement après ce plongeon intempestif.
Cuarnens-L'Isle, 27 septembre 2024. Leica M11 + apo-Summicron 35mm.
© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation