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Femmes, égalité

"Les femmes, c'est comme les pavés. A force de marcher dessus, on les prend sur la gueule", dit le carton brandi par une manifestante en T-shirt rayé. 

Pourtant les femmes suisses sont patientes, très patientes. Elles n'ont eu le droit de vote au niveau fédéral qu'en 1971. Vingt-deux ans plus tard, la première femme de gauche au gouvernement a été repoussée par la majorité bourgeoise du Parlement, qui lui a préféré un socialiste mâle. Ce dernier ayant eu le bon goût de refuser son élection, Ruth Dreifuss a pu entrer au Conseil fédéral en 1993.

Depuis, la parité a progressé au niveau politique, mais on est encore loin du compte sur le plan économique. Cela se sent dans les sempiternels arguments opposés à toute mesure contraignante en matière d'égalité salariale. Malgré une loi fédérale votée en 1995, l'écart entre les sexes reste de 18% en moyenne, sans parler du "plafond de verre" dans les entreprises. "Pas besoin d'une usine à gaz pour vérifier que les entreprises appliquent l'égalité, argumente ce mardi 25 septembre un parlementaire radical-libéral à la radio, celles qui sont victimes de discriminations doivent se plaindre et feront évoluer la pratique."

Simple, en théorie. "Des femmes l'ont fait en Valais, contre le canton. Cela leur a pris dix-huit ans pour obtenir gain de cause !", dit Carole dans le train spécial - bondé - qui nous emmène de Lausanne à Berne pour la manifestation nationale en faveur de l'égalité ce samedi 22 septembre 2018. Carole est présidente des syndicats chrétiens en Valais, elle est payée pour savoir qu'entre la théorie et la pratique, il y a souvent un fossé. En début de semaine, le Parlement débat d'un projet de loi minimaliste qui pourrait contraindre les plus grandes entreprises à davantage de transparence dans ce domaine. Cela est encore trop pour la droite du Conseil National, qui essaie de torpiller le projet. Il a fallu le vote de quelques parlementaires "bourgeoises" pour faire passer l'entrée en matière.

Ont-elles été sensibles à la mobilisation de samedi? Probablement. Il y avait une bonne dizaine de milliers de personnes samedi devant le Palais fédéral, rassemblées par une trentaine d'organisations syndicales, les Verts, le PS, divers mouvements de gauche. N'étant plus journaliste, je m'y étais rendu par curiosité, par sympathie pour la cause et aussi - bien sûr - pour y faire des images, le défi du jour étant d'anticiper la mise au point manuelle dans une foule mobile avec deux Leica (M3 et M6) argentiques. 

J'ai été frappé par le nombre de jeunes présents, par le fait aussi que pas mal d'hommes étaient venus soutenir la manifestation. J'ai fait quelques rencontres sympathiques, notamment avec cette jeune maman dont on voit la pancarte dans la galerie ci-dessus, juste après le calicot "Quand je serai grande, j'aurai un salaire d'homme". Voici ce qu'en dit le texte: "Egal Paul oder Paula, gleiche Chancen, gleicher Lohn, und nicht erst für die nächste Generation" ("Peu importe que ce soit Paul ou Paula, mêmes chances et même salaire, et pas seulement à la prochaine génération", donc pas seulement quand les enfants seront grands. A côté figure une date: 9 septembre 2018. Cette jeune femme est maman depuis quinze jours, elle en a assez d'attendre "que les enfants soient grands". C'est maintenant que les choses doivent bouger en termes d'égalité. Le mot "now" était d'ailleurs tatoué sur des centaines de joues, de bras, ou arboré en badge, avec un autre mot-clé: "enough". La Suisse progressiste s'est mis aux anglicismes pour revendiquer... Et je me suis rendu compte après coup que j'ai oublié de demander à la jeune maman si son bébé était un Paul ou une Paula.

Photographes et manifestants ne font pas forcément bon ménage. Les seconds se méfient - non sans raison - d'être instrumentalisés en bêtes de foire, de voir leur message détourné ou réduit à l'anecdote. Mais ils savent aussi qu'ils ont besoin de cette visibilité pour toucher des cercles plus larges. S'ensuit un exercice d'équilibre qui me convient personnellement plutôt bien. Chacun est dans son rôle, personne n'est dupe de ce que recherche l'autre, cela n'empêche pas le respect réciproque et quelques clin d'oeil. Deux dames m'ont demandé que leur photo ne paraisse pas dans les médias, un groupe de jeunes a souhaité que je lui envoie les images, certains ont posé. Dans l'ensemble, la manifestation était bon enfant, le voyage en train était des plus amusants, même si nous étions tous ravis de descendre du wagon surchauffé après 90 minutes serrés comme des sardines. Et je pense, au final, que les politiciens feraient bien d'accorder plus d'attention à ce "soft power" insaisissable mais de plus en plus présent. J'ai essayé, dans les portraits, de rendre compte de sa diversité. Des trois films 36 poses, j'ai retenu la sélection ci-dessus.

Berne, 22 septembre 2018,

© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation

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