Val d'Hérens
Mon père possédait un Rolleiflex, dont je ne sais ce qu'il est devenu après sa mort. Est-ce avec cet appareil, ou avec son prédécesseur et copie japonaise, le Yashica-Mat 124, qu'il nous emmena la première fois au Val d'Hérens, au début des années 1960? Mes souvenirs sont flous, comme pour la voiture qui transportait notre famille: l'Opel bicolore jaune pâle et moutarde avec baguette chromée?
En revanche, je me souviens avec netteté de l'arrêt obligatoire aux pyramides d'Euseigne, curiosité géologique que la route perce de part en part, et de la pose-photo, alignés en rang d'oignons devant les tutus de pierre. A Evolène même, papa s'était fait photographier aux côtés d'une dame de la commune en costume traditionnel - la plupart le portaient encore au quotidien à ce moment-là. Il se disait, il se dit encore, que ce Valais-là a peu changé malgré l'irruption des grands barrages, le déclin de l'agriculture au profit du tourisme. Par rapport à Crans-Montana ou Verbier, c'est sans doute vrai.
J'y suis retourné fin juillet 2018... avec un Rolleiflex acheté d'occasion l'an dernier, révisé à neuf et que je couve comme la prunelle de mes yeux. Si la photographie argentique n'a rien à voir avec le déclenchement numérique compulsif devenu la norme aujourd'hui, c'est encore une autre paire de manches que d'en faire l'expérience avec une bobine de douze images, pas une de plus. J'en avais pris une dizaine pour cinq jours d'excursions au Val d'Hérens, du Mont-Rouge au Pas de Lona en passant par Ossona et Ferpècle. Autant dire qu'avec ces "munitions", on cadre et mesure la lumière avec un soin particulier - tout est manuel dans ce Rollei - quitte à ne pas déclencher au dernier moment car il y a peut-être mieux plus loin. Retourne sept fois la langue dans ta bouche..., et réfléchis sept fois à ce qui t'a plu dans ce paysage avant d'ouvrir l'obturateur !
Ma première fierté - il faut savoir s'encourager parfois - est d'avoir ramené ma dizaine de bobines correctement exposées et soigneusement développées (cela m'a pris deux jours). Pas une image de ratée - techniquement, s'entend.
Artistiquement, c'est une autre affaire. Je ne prétends pas faire oeuvre de créateur ici, d'autres ont plus d'audace imaginative que je n'en posséderai jamais. Ma culture visuelle est clairement classique, mon oeil s'est formé en étudiant les grands paysagistes américains comme Ansel Adams et son "zone system" qui restitue la gamme des lumières noir-et-blanc avec une finesse et une ampleur inégalées à ce jour.
A défaut d'explorer de nouveaux territoires, le photographe peut tenter de restituer "l'âme" de celui qu'il traverse. Cela demande de l'entraînement. Qu'est-ce qui a attiré mon oeil ici: une forme, une lumière particulière, un ensemble ou au contraire un détail ? Qu'est-ce qui me "parle" ? Et surtout comment le communiquer aux autres ?
Telles sont les questions qui m'ont accompagné pendant cette semaine. Il ne suffit pas de dire qu'il "y a quelque chose de magique dans cette vallée". Celle que je ressens est faite d'un mélange d'intemporalité, de paysages lunaires, de mazots dont les marches de bois indiquent la direction du ciel, de sentiers serpentant dans des nuages de papillons. En espérant que vous la ressentirez aussi.
Les commentaires et avis sont bienvenus sous l'onglet "A propos - contact" de ce site. Les images ci-dessus sont des négatifs scannés (Epson V700 photo) et traités avec Lightroom et Nik software pour voir ce qu'ils "ont dans le ventre". Mon but est de resserrer la sélection et d'en faire des tirages argentiques sur papier baryté ou des tirages charbon-transfert chez Atelier Carbon 3 à Lausanne.
© Jean-Claude Péclet. Reproduction soumise à autorisation